Constructeur métallique établi à Kabendu, dans le département de Vélingara, Ndiack Bâ a amélioré et rendu plus performant le modèle broyeur fourrager que le Programme de productivité agricole en Afrique (Ppaao/Waapp) avait fait venir du Niger pour le diffuser chez les éleveurs.
Il ne faut surtout pas se fier aux apparences, Ndiack Bâ, 35 ans, est loin d’être un rustre. Derrière ses airs ingénus et candides, se cache un artisan de grand talent dont l’ingéniosité est vantée dans toute la région de Kolda, voire au-delà. Il a encore fait honneur à sa bonne réputation mercredi dernier devant la mission d’appui au Programme de productivité agricole en Afrique de l’ouest (Ppao/Waapp), constituée de fonctionnaires de la Banque mondiale, du Ppaao et du Fonds national de développement agro-sylvo-pastoral (Fndaps). Silhouette longiligne, yeux bridés sous un front dégarni, ce constructeur métallique a fabriqué le premier broyeur fourrager du Sénégal sur la base du prototype importé du Niger. Mieux que d’améliorer ce modèle, il l’a réinventé au point de susciter l’admiration de la délégation venue le trouver dans son atelier à Kabendu, dans le département de Vélingara.
« Je pense qu’il faut faire le chemin inverse, amener les Nigériens au Sénégal et leur montrer ce qu’est devenue leur machine pour qu’ils s’en inspirent. C’est fantastique », s’extasie, avec un brin d’humour, un fonctionnaire de la Banque mondiale, originaire du Niger, quand Ndiack Bâ a fini d’exposer, dans un français parfait pour un garçon qui a abandonné les bancs en classe de 4ème, les améliorations qu’il a apportées au modèle nigérien. Mohamed El Mansour Bassoum, ingénieur-agronome en service dans le Bassin de l’Anambé, a l’habitude de travailler avec Ndiack Bâ. Il ne tarit pas d’éloges à l’endroit de l’artisan. « Ndiack est l’auteur de presque toutes les machines agricoles en service dans la zone. Ce qui me frappe chez lui, c’est qu’il est capable de fabriquer tout type de machines qu’on lui présente. Il suffit de lui montrer la photo. Je pense qu’il a un don », déclare-t-il.
Les modifications apportées par Ndiack Bâ à ce broyeur qui fait aussi bien l’aliment de bétail que de la céréale concernent toute la structure externe et interne. Tout d’abord, l’épaisseur de la tôle est passée de 3 cm à 5 cm pour éviter les vibrations qui peuvent causer des cassures à la longue. Ce qui donne, du coup, une allure plus imposante au modèle de Ndiack Bâ. Ensuite, au lieu de deux trémies (dispositif de passage des matières à broyer), celui proposé par l’artisan sénégalais n’est doté que d’une seule équipée d’un mécanisme de levier. Ainsi, les deux options offertes par la machine (broyage fourrage et broyage céréale) peuvent être utilisées de manière plus efficiente. Autre innovation majeure, il a installé un moteur d’une puissance de 24 chevaux là où la machine nigérienne n’était équipée qu’un moteur de 7 chevaux, soit 220 tours par minute au lieu de 160 tours. Cela évite le bourrage du moteur et augmente la production.
Machine plus performante et multi-facettes
Profitant de l’alternateur du moteur, l’artisan a installé un système permettant d’avoir de la lumière et de charger un téléphone portable. Ndiack Bâ a ajouté une dose de commodité à son prototype. Celui-ci dispose d’une caisse à outils, d’un siège passager et est équipée de barres de tractation qui permet de le déplacer plus facilement. Mieux encore, il a fait en sorte que la machine ne dégage pas de poussière, évitant à l’utilisateur d’être importuné. « Ces modifications ont rendu mon broyeur plus performant que celui importé du Niger. Il peut broyer 450 kg de tiges par heure et 800 kg de céréales par heures », souligne cet autodidacte dont la fin de la présentation a déclenché un tonnerre d’applaudissement.
Un don naturel
Comment en est-on arrivé à ce success-story comme n’ont pas manqué de le qualifier certains ? Pour le comprendre, il faut retourner quelques semaines en arrière. En effet, dans son programme de transfert de technologies, le Ppaao avait fait venir du Niger, en décembre dernier, une dizaine de broyeurs afin de les mettre à la disposition de certains producteurs.
Dans ce cadre, des artisans avaient été choisis pour être formés à Thiès sur les techniques d’entretien et de maintenance de ces machines. Ndiack Bâ en faisait partie. L’esprit alerte et toujours en quête de perfection, ce fils de fonctionnaire à la retraite qui s’était déjà fait une bonne réputation dans la fabrication de moulins à mil, de décortiqueuses de mil, d’arachide, de machines de fabrication de pâte d’arachide, de batteuses, etc., s’est dit dans un coin de sa tête qu’il pouvait proposer mieux que le broyeur nigérien. Sûr de son talent et avec ses propres moyens, l’ingénieux artisan construit son prototype qu’il présente au ministre et aux partenaires. En attendant que ce prototype soit vulgarisé et mis à l’échelle, Ndiack Bâ vient d’en produire deux exemplaires dont l’un a été acquis par une fermière établie à Bayakh, dans la région de Thiès. Celui qui n’a commencé à taquiner la construction métallique qu’au début des années 2000 ambitionne de créer une grande industrie. Nul doute que s’il est accompagné, Ndiack Bâ qui a déjà formé et est en train de former de nombreux jeunes de sa localité, peut réaliser son rêve. Il en a le talent, la volonté et l’ingéniosité.
L’amélioration de la sécurité alimentaire en ligne de mire
Le modèle de broyeur fourrager du Niger a été introduit au Sénégal par le Ppaao/Waapp afin de promouvoir l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnel du cheptel grâce à la disponibilité de blocs de nutritionnels densifiés composés de fourrage grossier (paille, résidus de récolte, gousses des ligneux), sous-produits agro-industriels (sons, tourteaux, grains, farines) et minéraux (calcaire, phosphate naturel etc.,). Ce programme entre dans la politique de développement et d’intensification de la production à travers la diffusion et l’adoption de technologies améliorées. De notre envoyé spécial dans la région de Kolda.
Elhadji Ibrahima THIAM